Meilleure et moins chère que la clim’ : l'architecture bioclimatique

Il faut dessiner le débord de toiture pour qu'il projette son ombre sur la façade SUD le 21 juin à midi
L'architecture dessinée par ordinateur permet de connaître l'ombrage de chaque façade à tout moment de l'année (ici 21 juin à midi)

La climatisation fait partie des ces inventions qui sont devenues des réponses automatiques. Il fait trop chaud ? Le consommateur veut la Clim’ sans même s’interroger. Certes, la climatisation apporte une fraicheur pour son bénéficiaire mais c’est en générant de la chaleur supplémentaire pour les voisins alentour. Ajoutons que la plupart des fluides réfrigérants sont très nocifs pour l’effet de serre (400 à 8000 fois plus puissants que le CO2). Et puis la clim' augmente nos consommations d’énergie, donc non seulement nos dépenses d'énerge mais aussi nos émissions de gaz à effet de serre. En un mot : la clim' est un cercle vicieux.

On estime aujourd'hui que la clim’ (des véhicules et des bâtiments) fait monter la température de +2°C dans nos villes. Ces 2 degrés s'ajoutent à la chaleur dégagée par la combustion des transports, des usines, de l’électricité… bref, on ajoute encore au réchauffement global de la planète.

La Clim' augmente la demande d’électricité en été. Depuis quelques années, plusieurs centrales sont passées à la limite de la surchauffe… si demain elle sont en surchauffe, il faudra les arrêter par mesure de sécurité... ce qui entrainera des coupures d’électricité, précisément au moment où les gens auront le plus chaud…

Voilà le cycle infernal dans lequel nous nous plaçons lorsque nous optons pour la Clim', cette fausse bonne idée… Mais nous ne sommes pas obligés d’y contribuer et il existe d'autres options.

Avec l'architecture bioclimatique, on dote les constructions d’atouts naturels qui remplacent les équipements tels que chaudière, climatisation, cumulus... Lorsqu’on parle de fraicheur, l’enveloppe du bâtiment,  c'est à dire sa "peau" ou la composition de ses parois, est un point déterminant. Climatiser une tour en verre ou un bâtiment mal isolé est l’incarnation de l’idiotie : on ne remplit pas une passoire ! Le bâtiment intelligent, on dirait aujourd’hui « résilient », est celui qui est adapté pour se protéger des fluctuations de températures extérieures : celui dont l’architecture est bioclimatique.

Que ce soit en rénovation ou en construction neuve, un bâtiment bioclimatique protège naturellement le confort intérieur, sans ajouts d'équipements : l'intérieur reste chaud en hiver et frais l’été… Comment ? En ajustant ces 3 principaux paramètres :

La forme de l’architecture, notamment son intégration au sol et la forme de son toit. Les grands débords de toiture ombragent les façades en été et laissent entrer le soleil en hiver. Il faut prêter attention à la taille et la forme des fenêtres en fonction de leur orientation : grandes au Sud, minimales au Nord.

Le choix des matériaux est un point important. Isoler par dedans est moins efficace que par dehors. Isoler avec des isolants synthétiques (laines de verre, de roche, polystyrène…) n’apporte aucun confort en été alors qu’avec des isolants végétaux (laines de bois, de chanvre, ouate…) on peut garder la fraicheur dans un bâtiment pendant plus de 15h.

L’occultation des fenêtres : les systèmes qui arrêtent ou filtrent le soleil sont des compléments nécessaires pour le confort d’été (stores, brises soleils orientables, volets…) Lorsqu’on a un terrain, il faut avoir recours chaque fois que cela est possible aux treilles végétalisées pour ombrager les terrasses, ou aux arbres pour les stationnements : aucune ombre n’est plus fraîche que celle d’un feuillage. Malgré tous nos progrès techniques, nous ne faisons pour le moment pas mieux que la Nature.

Les ¾ de notre travail d’architectes porte aujourd’hui sur la rénovation de bâtiments existants. Du point de vue des consommations (et donc des gaz à effet de serre) le pire patrimoine est celui de l’après guerre jusqu’aux années 80, c’est à dire celui des prétendues « 30 glorieuses ».

Lorsque nous rénovons ces bâtiments des années 50 à 70, nous apportons de fortes épaisseurs d’isolation végétale, des doubles vitrages sur les ouvrants et des triples sur les fenêtres fixes,, de l’ombrage par le toit, des occultations réglables…

Avec nos retours d’expérience sur 15 ans, on constate que ces investissements sur l’enveloppe du bâtiment ont divisé par 5 à 7 le besoin d’énergie. Si l'on transpose cet exemple sur notre voiture : c’est comme si au lieu de consommer 7 litres au 100 km elle ne consommait plus qu’un litre !

L’exemple de nos bureaux est le suivant : bâtiment non isolé construit en 1961, simple vitrage, chauffage central au gaz. Les travaux réalisés en 2011ont mis du triple vitrage sur les baies fixes, du double sur les ouvrants, 25 cm d’isolation en Fibre de Bois, deux VMC double flux décentralisées, des murs chauffants branchés sur chaudière électrique (pas de PAC car impossible dans cette copropriété).

Les mesures après 8 ans sont les suivantes : la consommation d’énergie est passée de 53.000 kwh/an avant 2011 à 9.400 kwh/an en moyenne sur 7 ans. Nous avons réduit de 82% notre facture d'énergie, soit 43.600 kwh non consommés et 3.100€ d’économies chaque année. Soit 21.700€ économisés en 7 ans pour une surface de 120m2.

Grâce à ces économies, ces bureaux ont été équipés cette année non pas d’une climatisation mais de stores spéciaux, qui arrêtent 91% de la chaleur du soleil ! Ils ont préservé la fraîcheur sans consommer une goutte d'énergie. Pendant l’épisode caniculaire fin juin 2019, l’occultation en journée et la ventilation crépusculaire entre 5h et 9h le matin ont permis de maintenir la température intérieure entre 22° et 26,5°C. Dehors, la nuit, la température revenait à 21°C à l'aube. Et en journée il faisait de 37°C à 39°C tous les jours pendant 5 jours consécutifs. Avec une telle chaleur, entrer dans des bureaux à 26°C c’est un peu comme entrer au paradis ! Sauf que ce paradis-là ne renvoie pas de chaleur à l'extérieur et ne consomme pas un kilowatt .

La climatisation n’est pas un mode de vie, c’est une idiotie. Elle devient un cataclysme lorsqu’elle est généralisée. Elle est la marque d’une paresse intellectuelle, d’une contribution irresponsable au changement climatique. Elle est inutile quand les bâtiments sont bien conçus et bien rénovés, excepté dans quelques cas particuliers comme pour des nouveaux-nés, des femmes enceintes ou certaines personnes âgées.

Pour la grande majorité des gens, le « Progrès » est incarné par les techniques. Le Progrès est toujours souhaitable et toujour positif, forcément. Il entraîne un gain pour les humains. Mais lequel? Un gain si on en fait quoi? Cela n'est pas dit. Un gain sûrement! Cette vision du Progrès est une croyance car elle fait fi de notre comportement. Pourtant, c'est une question centrale : inventer le moteur est un progrès, mais les bouchons, la pollution, les bronchites et la dépendance quotidienne à l’automobile en sont-ils ? Quand on invente l’eau courante c’est un progrès, mais qu’en est-il si c’est pour arroser le maïs en plein jour ou prendre des douches de 20 minutes tous les soirs ?

Dans le bâtiment, inventer le chauffage central était un progrès au départ, mais c’est devenu une calamité parce que nous chauffons des maisons mal isolées. Nous sommes en régression lorsque nous négligeons de fermer les volets la journée ou de garer notre voiture à l’ombre parce que « on aura qu’à mettre la clim’ ». Cela ne doit plus être accepté.

L’usage que nous faisons de nos inventions est aussi important que ces inventions elles-mêmes : l’usage imprudent et immodéré des énergies fossiles a amené le changement climatique. De la même façon, nos comportements peuvent nous permettre d’en sortir. Nous devons comprendre accepter de ne pas recourir au plus facile lorsque le plus facile fabrique notre enfer. A nous de nous adapter ! Aucune technique ne nous « sauvera » si nous n’avons aucun bon sens !

Alexis MONJAUZE 25 juillet 2019